ANVERS,
CARREFOUR COMMERCIAL
Avec plus de cent mille habitants, Anvers, capitale commerciale de l'Empire
de Charles Quint, est la plus grande ville du monde.
Dès le Moyen Age,
Anvers se spécialise dans le commerce (poisson, sel, laine…) ; la ligue
hanséatique y fonde un comptoir. Au XVIe siècle, la métropole flamande
connaît son âge d'or , les riches maisons des corporations rivalisant
d'opulence s'élèvent à proximité de la place du Marché et de la cathédrale
Notre-Dame
Sa position au coeur des Pays-Bas, au fond de l'estuaire de l'Escaut, en a
fait le carrefour des trafics routiers, fluviaux et maritimes de l'Europe. À
l'ouest, elle commerce avec les Anglais qui lui vendent du drap, et, au
nord, avec les Hollandais et les villes de la Hanse qui bordent la mer du
Nord et la Baltique. Du sud viennent les galères génoises et les nefs
espagnoles et portugaises chargées d'or, d'argent et d'épices. Depuis
l'agrandissement de cette Bourse, en 1532, Anvers est: l'une des plus
importantes places financières d'Europe. Des fabriques et une imprimerie
témoignent du dynamisme économique et intellectuel de la ville.
À partir de 1450, le déclin commence : les accès
au port de Bruges s’ensablent, des guerres surviennent et les
marchands vénitiens, génois, florentins allemands s’en
vont à Anvers, toute proche, mais qui va dorénavant dominer le
commerce mondial.
C’en est fini également de la toute puissance de Venise.
À la toute fin du XV° siècle, Priuli, un marchand vénitien
raconte son désespoir de voir des caravelles portugaises débarquer du sucre
de Madère à Anvers.
Les dés sont jetés : le sucre de l’Atlantique va définitivement
supplanter le sucre de la Méditerranée.
Pendant que ceux-là commencent
.â exploiter les richesses du Nouveau Monde.
Il suffit de jeter les yeux sur l'Anvers d'alors pour le constater.... en
effet
. Le secret de
sa prospérité n'est pas, dans la situation que la ville occupe au bord de
son fleuve, si excellente qu'elle ait été, et il n'est pas non plus dans
l'énergie ou l'intelligence de sa population. Tout cela, on pouvait le
trouver en d'autres points des Pays-Bas. -Non, la source profonde de la
grandeur anversoise est dans l'esprit nouveau qui y anime la vie économique.
Plus tôt que n'importe quelle autre place de commerce, celle-ci a pris pour
devise la liberté, elle s'est ouverte généreusement à tous, elle s'est faite
le rendez-vous des nations.
Chez elle, plus aucun de ces
droits d'exception qui réservent soigneusement le commerce ou l'industrie à
la population locale, et en excluent l'étranger. Tandis que Bruges conserve
jalousement, espérant retenir la prospérité qui la fuit, ses privilèges, ses
étapes, ses monopoles, Anvers, au contraire, s'affranchissant des préjugés
de la tradition, inaugure avec un confiant optimisme le principe de la
liberté commerciale.
Il ne concède aucune prééminence à ses bourgeois, au détriment de
l'étranger; il débarrasse ses artisans de la lourde armature des réglementa
corporatifs; il s'organise pour la liberté des échanges, pour la
communication facile et rapide des hommes et des biens.
On pourrait lui appliquer à
bon droit ce beau nom d'humaniste, dont s'enorgueillissent à la même époque
les penseurs et les artistes. Nul préjugé de domicile, de race, de langue;
nul particularisme, nul craintif repliement sur soi-même. La ville ouvre son
coeur à tous; elle appartient et elle veut appartenir à l'humanité. Et de
toutes parts, marchands, navigateurs, hommes d'affaires affluent vers elle.
Car chez elle ils ressentent chez eux,ils se sentent bien
Cosmopolite dans le sens le
plus complet de ce mot, elle accueille à la fois d'Espagne, de Portugal,
d'Italie, de France, d'Angleterre et d'Allemagne, tous ceux que sa large et
intelligente hospitalité attire de tous les points du monde.
Les Fugger y établissent le
centre de leurs affaires; la « nation » d'Espagne, gênée à Bruges par une
législation envieuse et protectionniste y émigre; les Hanséates y
construisent leur plus grand entrepôt. D'Italie affluent vers elle ces
esprits subtils, affinés, cultivés, aussi habiles au maniement des affaires
qu'à celui de la politique, gens de Lucques, de Gênes, de Pise et de Sienne.
Si les Florentins y sont
moins nombreux, c'est que la politique de François Ier dont ils sont les
banquiers, les détourne d'une ville obéissant à Charles-Quint. Les «
merchant-adventurers » d'Angleterre y écoulent les produits. de la
draperie insulaire qui commence, dès cette époque, à supplanter la vieille
draperie flamande.
Les Portugais y amènent les
épices, les pierres précieuses des Indes et de l'Afrique. On y entend
parler toutes les langues, on y coudoie des gens de tous les climats et de
toutes les professions,
En 1531, la ville construit à ses frais une bourse - la première des bourses
internationales - qui abrite chaque jour, sous ses gracieuses galeries, des
représentants de toutes les nations de l'Europe. Nulle part au monde ne se
rencontre un tel spectacle, une telle liberté,, et, favorisée par cette
liberté même, un mouvement d'affaires aussi intense, aussi novateur dans ses
procédés. Anvers fait l'étonnement et l'admiration des contemporains.
Il
apparaît aux yeux de Guichardin (Francesco Guichardin (1482-1540),
historien florentinIl fut ambassadeur auprès du roi
Ferdinand II d'Aragon, et ensuite du pape
Léon X.)
comme la «patrie commune de toutes les nations chrétiennes », et il mérite
d'être appelé de ce beau nom : « la fleur du monde ».
Grâce à la liberté dont on y jouit, le capitalisme, contre l'expansion
duquel le Moyen Age avait dressé ingénieusement tant de barrières, s'y
épanouit en tous sens. II inaugure des méthodes nouvelles d'échanges, il
jette ses gourmes, il s'essaye. Il perfectionne les instruments de crédit,
les assurances maritimes le régime bancaire
Il s'enhardit à des spéculations qui enrichissent en quelques moi-, ceux qui
s'y adonnent. ou les font sombrer dans des faillites retentissantes.
L'esprit d'entreprise s'y manifeste dans tout ce qu'il a de meilleur comme
dans tout ce qu'il a de pire.
On rencontre des aventuriers de
la finance, des aigrefins, des chevaliers d'industrie ne reculant pas devant
l'assassinat pour se débarrasser de leurs concurrents ou de leurs
créanciers. Mais ce que l'on y rencontre surtout, ce sont des nouveaux
riches, des parvenus, des gens dont l'intelligence a été l'origine de la
fortune, et qui se sont élevés par leur habileté à saisir, dans ce milieu
ouvert à toutes les initiatives, les moyens de se faire leur place au
soleil,
Les agents du capitalisme ont
été, à chacune des grandes époques de l'histoire économique, des hommes
nouveaux. L'Anvers du XVe siècle en donne une démonstration évidente. Tout y
est dans le devenir, tout y est récent et battant neuf, en fraîche et claire
jeunesse. Ici le passé ne pèse pas sur le présent. Tout est en construction,
les bâtiments comme les familles.
La population répond au cadre
dans lequel elle vit. Ces nouveaux riches s'agitent et s'ingénient dans un
milieu aussi nouveau qu'eux-mêmes, entre des façades imprégnées de ce style
de la Renaissance dont le génie les anime sans qu'ils s'en doutent.
Redisons le encore, jamais un tel spectacle ne s'était rencontré, et jamais
depuis on ne l'a revu. Les plus grandes places de commerce du Moyen Age,
Venise et Bruges, furent essentiellement particularistes.
Le cosmopolitisme de l'Anvers du xve siècle a donc marqué dans l'histoire un
moment aussi rapide que singulier et bienfaisant. L'Europe entière a profité
de cet ardent foyer, dont les guerres civiles et les troubles religieux du
XVe siècle ont dispersé les éléments aux quatre coins du monde, mais surtout
les ont fait refluer vers la Hollande toute proche.
Ce sera l'éternel honneur de
cette ville que d'avoir pu ainsi réunir le monde dans ses murailles. Elle
s'est armée par là la plus haute expression de cette Belgique qui toujours,
à ses plus belles époques, s'est montrée si largement accueillante, de cette
Belgique que le Prince d'Orange appelait " une terre commune à toutes les
nations ", qui s'est tour à tour manifestée, au plus grand bien d'elle
même et de l'humanité, par la pensée d'un Erasme, la peinture d'un Rubens,
le libéralisme de la constitution de 1830, qui, en ce carrefour des
civilisations où elle est placée doit se faire toute â toua, s'assimiler les
influences qui s'exercent sur elle, et ne peut vivre et se développer qu'à
condition de répudier le particularisme et le protectionnisme.
La puissante vitalité d'Anvers n'a pas seulement été salutaire au monde.
Elle l'a été plus encore aux Pays-Bas. Ce fut un bonheur pour eux que de
posséder une place de commerce aussi prépondérante.
Elle a animé au loin leur
industrie, elle a fourni un débouché à leurs produits, elle a permis à leurs
pouvoirs publics de contracter les emprunts, dont les nécessités plus
absorbantes de la politique ou des affaires leur rendait le besoin de plus
en plus impérieux.
Son action n'apparaît guère moins efficace si, abandonnant le point de vue
économique, on l'envisage au point de vue intellectuel et moral. Elle était
trop largement ouverte sur le monde, en rapports trop étroite avec tous les
pays, trop accueillante à tous et nécessairement trop tolérante pour ne pas
offrir une patrie, un asile ou un domicile aux savants et aux artistes
http://digitheque.ulb.ac.be/fr/les-documents-numerises/index.html
La première bourse française naîtra à
Lyon. Elle précédera celles de Toulouse (1549), Paris (1563), Rouen (1566)
et Bordeaux (1571). Les autres bourses européennes ne feront leur apparition
que beaucoup plus tard. |