- Au moment où le royaume de France est dans un triste état sous le
règne de Charles VII, la moitié du pays étant occupé par les Anglais. Sans
revenir sur les divers jugements portés sur l’homme pas plus que sur sa
fonction d’Argentier du Roi qui se terminera en prison, ce sont les rapports
entre commerce et mer, diplomatie et réseaux, information et logistique,
etc. qui sont les plus intéressants car ce sont eux qui créent des richesses
et par conséquent des emplois.
"Self made man", Jacques Cœur est avant tout un grand
marchand, mais un marchand qui a compris, fortune aidant, qu’il fallait
dépasser les vues du marchand pour aborder celles de l’économie en général,
ce qui fera son prestige et son succès pendant un temps auprès du roi
Charles VII. D’origine "terrienne" il retrouve d’instinct ce qui a fait la
grandeur du commerce maritime grec augmenté du sens de la concurrence
positive. Esprit curieux, attentif et imaginatif, tout l’intéresse et il
rentre sans difficulté majeure dans ce que Braudel décrira cinq siècles plus
tard dans "les jeux de l’échange" :
« Les réseaux se complètent, s’associent, se relaient,
s’affrontent aussi. S’affronter cela ne veut pas dire se détruire Il y a
des ennemis complémentaires. Il y a des coexistences hostiles faites pour
durer. Face à face des siècles durant, les marchands chrétiens et les
marchands de Syrie et d’Égypte s’affrontent, c’est vrai, mais sans que la
balance penche entre ces adversaires indispensables
les uns aux autres. »
C’est en effet à partir de son appareillage pour les
Échelles du Levant en 1432 qu’il comprend toute l’importance de la mer pour
développer commerce et richesses avec l’Orient. Parti de Montpellier et
d’Aigues Mortes, et malgré le naufrage du retour, il est le premier à aller
à Beyrouth, puis Damas, s’informer du fonctionnement du commerce
méditerranéen et à en tirer parti pour le reste de son activité. A partir de
ce moment il fait de la Méditerranée le centre de ses préoccupations
commerciales en particulier en tissant des liens étroits avec les Génois et
avec la Sicile, pièce maîtresse de la navigation entre les deux bassins. Il
construit et/ou loue une flotte de commerce dont il choisit les capitaines
et la maistrance qui lui resteront fidèles au-delà de sa chute. Il comprend
très vite l’intérêt de Marseille aussi bien que celui de Barcelone,
Florence, Pise, Rhodes, Alexandrie, etc. et monte un réseau remarquable de
représentants et d’agents ou facteurs. En même temps il construit un
véritable "filet" interne à ce qui deviendra ultérieurement la France, dont
les points forts sont centrés sur Rouen, Bruges, Orléans, Bourges (centre du
pouvoir royal), Tours, avec des projections vers Saint Malo et la Rochelle
et peut-être vers Bordeaux, ce qui ouvrait son attention sur l’Atlantique.
S’il perçoit très vite qu’il n’y a pas de commerce
digne de ce nom sans moyens navals et financiers il comprend qu’il est tout
aussi nécessaire d’avoir une diplomatie active, l‘ensemble des trois donnant
la capacité maximale dans les affaires comme dans l‘influence. Il se servira
de son poste auprès du Roi pour les affaires du Royaume mais mènera aussi sa
propre diplomatie, lorsque nécessaire, en entretenant des liens parfois très
étroits avec les puissants du moment, Pape y compris.
Tout l’intéresse, l’ancien et le nouveau et, pour le
compte du Roi ou pour le sien, il met en œuvre des commerces aussi variés
que les armes, le fer, le sel, les cuirs, les laines, celui des fourrures,
textiles, métaux, épices... tout ce qui est en train de se créer ou de se
modifier en fonction des besoins de l’Orient et de l’Occident et il n’hésita
pas à se lancer dans l’exploitation de mines. A partir de Bruges il aura
même une liaison avec l’Écosse qui n’aura pas de suite manifeste mais sera
une des premières entre la Méditerranée et l’Atlantique, ce qu’il tentera
également avec des bâtiments spécialement construits pour cela entre le port
de Deva en Espagne et les ports méditerranéens.
Ce que réalise Jacques Coeur avec les moyens du moment
c’est une remarquable entreprise-archipel avant l’heure, avec le
personnel et les moyens d’information nécessaires. C’est une activité assez
extraordinaire pour l’époque donnant à réfléchir sur ce que l’on pourrait ou
devrait faire aujourd’hui avec les moyens dont on dispose. Quelles que
soient ses erreurs et les mélanges effectués entre sa fortune personnelle et
celle du Royaume, vieille habitude toujours vivante dans tous les pays ou
presque, ce que le Pouvoir ne lui pardonne pas, c’est le succès.
Cela deviendra une constante des Français qui
n’acceptent pas de voir l’un des leurs réussir autrement que parfois dans
les jeux de l’esprit... terrible malédiction qui coûtera très cher, malgré
l’incroyable somme de talents de notre pays, même si nous commençons à
revenir lentement, très lentement, sur ce jugement en ayant de très grands
chefs d’entreprise! Trop riche de son agriculture primaire et de sa
nombreuse population la France préférera trop souvent se lancer dans la
conquête de territoires européens plutôt que dans le commerce international,
et les rares qui le feront seront toujours des suspects qu’il n’est pas sain
de fréquenter à moins d‘avoir besoin de redorer ses finances en épousant
leurs filles!
Information, choix des hommes, choix des ports, choix
des navires et de leur logistique, choix des réseaux… Parlant de son
activité Jacques Cœur a une phrase très significative. Ce qu’il veut “c’est
donner bruit au navigaige de France”. S’il y a trouvé son intérêt, il
serait injuste de croire qu’il ne pensait qu’à lui et d’ailleurs toutes les
richesses et l’argent fournis au Royaume le montrent bien. Victime de
jalousie, condamné mais par le même Roi qui avait laissé brûler Jeanne d’Arc
en 1431, il fut réhabilité par Louis XI, après sa mort survenue à Chio,
alors qu’évadé de prison le Pape lui avait confié un groupe de navires pour
combattre les Turcs, final illustrant de façon étonnante les liens étroits
du commerce et de la mer, du commerce et de la guerre.
Le commerce de marchandises de Jacques Cœur
Il emporte également des fourrures, fourrures vairs, pare exemple ,
"Vair" du corail de Provence, de Sardaigne, en sens inverse, les bateaux
revenant vers l'Occident transportent évidemment des épices, transportent de
l'or, cette fois-ci, l'or était arrivé à Alexandrie en provenance du Soudan,
du coton, des soieries et indirectement de l'alun, et il faut préciser
quelque chose qui est intéressant, c'est que toutes cette zone ci, où se
trouve Chio, où mourra Jacques Cœur était interdite pratiquement aux
bateaux, notamment aux bateaux français, les génois se réservant le monopole
de l'alun donc Jacques Cœur devait s'alimenter là, pour une fois
indirectement en alun auprès des génois.
Une tentative malheureuse de laine et de cuir d'Ecosse qui arrive en
très mauvais état à La Rochelle. Donc Jacques Cœur n'insiste pas. Son idée
était de créer à Bruges une base qui, avec la paix retrouvée du côté de
l'Angleterre aurait permis le développement de ses affaires dans cette
direction.
Tout cela arrivait dans les ports de Méditerranée en ce qui concerne
maintenant au trafic intérieur, nous allons passer à un autre
document N°21, ce document est un peu complexe, je le
détaillerais.
Venant des ports méditerranées, des épices dont je vous parlais avec
un centre qui apparaît ici, Le Puy, par exemple où o,n peut passer également
par Lyon, donc en direction de Bourges et en direction surtout l'affaire
essentielle, car c'est à Tours que se trouvaient les magasins de
l'Argenterie qui recevaient tous ces produits précieux, dont les familiers
du roi étaient friands. Ces marchandises pouvaient aller ensuite en
direction de Bruges, mais aussi vers Rouen et d'autres points du royaume.
On voit aussi en sens inverse, la descente des draps de Flandres en
direction de la Méditerranée, l'alimentation en draps également du Berry
bien entendu, le Languedoc, et le long des trois fleuves, la circulation du
sel, le sel qui remontait de Camargue, le sel qui venait de la baie de
Bourgneuf, ici et qui remontait la Loire en direction par exemple d'Orléans
et de Paris et le même trafic sur le Seine.
L'essentiel de ce trafic était destiné à l'approvisionnement des
magasins de l'Argenterie qui étaient à Tours puisque le roi Charles VII
s'est plutôt bien fixé dans un petit château à côté de Tours, le château de
Plessis-les -Tours, à partir de 1444. Et Jacques Cœur était à la fois, ce
qui fait un des éléments essentiels de sa fortune, le fournisseur d'articles
de luxe et celui qui les vendait ensuite aux gens de la Cour, avec des
profits qui étaient sans doute substantiels. Au passage, on peut noter qu'il
s'accommodait de paiements assez originaux. On sait qu'au moment de la
construction de cette maison que le seigneur d'Aubigny, bien connu, Jean
Stuart, qui avait pris des marchandises à l'Argenterie de Tours a payé
directement sans passer par l'Argenterie. Il a payé Jacques Cœur en
fournissant du bois pour la construction de la maison où nous sommes.
Inversement, bien sûr, ces opérations dans lesquelles il réalisait des
profits et l'on disait qu'il faisait des profits considérables étaient
obérés par le capital investi mis dans les stocks. Au moment du séquestre,
par exemple, on a retrouvé à Tours, à l'Argenterie, un millier de pièces de
tissu, 6500 pièces de fourrures, vairs essentiellement, était obérés
également par l'importance des découverts qu'il consentait à ses clients.
Toujours au moment du séquestre, on a relevé le nom de 200 débiteurs pour
une charge globale supérieure à 100 000 livres tournois.
Pour clore cet aperçu concernant les affaires de Jacques Cœur,
plusieurs traits méritent d'être soulignés; je crois que ce qui fait
l'essentiel du succès de Jacques Cœur, c'est l'extraordinaire activité qu'il
déploie. Une énergie tout à fait considérable, c'est un personnage sans
cesse en mouvement, pour maîtriser la dispersion de ses affaires, pour
s'assurer l'obtention d'offices, d'honneurs ; aux mentions des charges déjà
indiquées auprès des Etats du Languedoc, visiteur général des gabelles, il
faut ajouter toute une série de missions diplomatiques à Gênes, auprès du
roi d'Aragon qui était fort important puisqu'il maîtrisait toute une large
partie de la Méditerranée occidentale, auprès du pape évidemment, avec de
très grandes ambassades, en particulier en 1447, 1448, et voyez c'est le
moment où le statut d'homme du roi commence à s'imposer véritablement, donc
une activité extraordinaire qui apparaît d'ailleurs en creux avec la
médiocrité semble-t-il de son fils, du seul de ses fils qui ne soit pas
clerc, Ravant Cœur un personnage autant qu'on puisse le saisir,
particulièrement fallot.
http://jacques-coeur.bourges.net/confguillot.htm |