Les puissances ibériques à la
recherche des terres à épices Les épices arrivaient dans
le bassin méditerranéen par l'intermédiaire des marchands arabes et italiens
qui en tiraient des bénéfices considérables. Au XVe siècle, sous l'impulsion
du prince Henri le Navigateur, les Portugais longent la côte africaine
jusqu'au cap de Bonne Espérance et pénètrent dans l'océan Indien. En 1509,
ils sont à Malacca, en 1514 à Canton, et en 1542 au Japon. Au service de
l'Espagne, Christophe Colomb part vers l'ouest pour arriver à l'est en
passant de l'autre côté de la terre. En 1492, il atteint les Caraïbes. En
1494, par le traité de Tordesillas, le pape partage les terres et les mers à
découvrir entre le Portugal et l'Espagne, les deux principales puissances
maritimes de l'époque.
Des aventuriers se précipitent. Vasco Nuñez de Balboa est l'un d'eux.
Poursuivi par ses créanciers, il s'embarque clandestinement pour Panama dans
une voile roulée au pied d'un mât. En 1513, au prix d'énormes souffrances,
il traverse à pied les cent cinquante kilomètres de forêts de l'isthme ; il
est le premier Européen à apercevoir une immense étendue marine qu'il
appelle « la mer du Sud », la côte étant alors de direction est-ouest. C'est
à Ferdinand Magellan qu'il revient d'en donner la mesure.
De petite noblesse portugaise, celui-ci avait cherché au préalable
l'appui de son pays, mais sans succès. En août 1519, il quitte l'Europe au
service de la couronne d'Espagne. L'expédition a été financée entre autres
par le banquier Jacob Fugger qui espérait que les bénéfices permettraient à
Charles Quint de rembourser une partie des prêts accordés à son grand-père
Maximilien. Sur les cinq navires, les équipages sont cosmopolites. La flotte
franchit le sud de l'Amérique par le détroit qui porte son nom et entre le
28 novembre 1520 dans un océan qui, grâce à des conditions météorologiques
exceptionnelles, leur semble « pacifique ». Ils remontent vers le nord pour
attraper les alizés portants. Le 6 mars 1521, depuis longtemps à bout de
provisions, ils atteignent enfin une île, Guam, dans l'archipel des
Mariannes. Les premiers contacts s'établissent sous le signe de malentendus
culturels et de violences. Les habitants, des Chamorros, arrivent sur des
canots avec de l'eau et des vivres. En échange, selon les traditions
locales, ils prennent ce qui leur plaît. Inquiet de ce qu'il interprète
comme du vol, Magellan ordonne à ses hommes d'expulser les Chamorros, ce
qu'ils font en ouvrant le feu. Les Chamorros s'enfuient en emportant un
esquif. Pour le récupérer, Magellan lance une opération de représailles et
enlève un habitant dont il espère qu'il lui servira de navigateur et
d'interprète. Il s'éloigne de ces îles qu'il nomme « les îles des larrons »,
et se dirige vers les Philippines où il jette l'ancre. Là, un chef vient
offrir du riz et des provisions. Il est couvert de tatouages, mâche du
bétel, porte une robe de soie de Chine et ses armes sont incrustées d'or.
Magellan est certain d'avoir enfin atteint l'Orient. Afin de se concilier
les bonnes grâces du chef, il accepte de participer à une opération contre
un de ses rivaux sur une île voisine. Mais il est tué lors des combats.
Finalement, un seul des cinq navires de la flotte, le Victoria
commandé par le Basque Sebastien El Cano, revient en Espagne le 4 septembre
1522 et boucle le premier tour du monde effectué par des Européens. Il
rapporte cinq cent trente-trois quintaux de clous de girofle – deux cents
autres ont été jetés par-dessus bord lors d'une tempête en mer. Depuis les
îles, il n'a fait qu'une seule escale, au cap Vert.
En 1565, un autre Basque, Miguel Lopez de Legazpi, créole de
Nouvelle-Espagne, le Mexique d'aujourd'hui, finance une expédition vers les
Philippines. Là, il noue des alliances avec les principaux chefs, soumet les
autres et fonde Manille en 1571. Son navigateur, Andres de Urdaneta, en
remontant vers le nord-est et en utilisant les vents d'ouest, trouve une
route qui lui permet d'arriver en quatre mois à Acapulco, chargé de soies et
de porcelaines chinoises, après avoir longé la côte de Californie. À la fin
du XVIe siècle, le Pacifique peut être justement qualifié de « lac
espagnol », mais la connaissance en est très incomplète. Le galion traverse
annuellement l'océan à la hauteur du quinzième degré de latitude nord, en
une immense ellipse aplatie entre Acapulco et Manille, une route qui restera
utilisée jusqu'au XVIIIe siècle.
Menaces sur le « lac espagnol »
Les richesses espagnoles suscitent les convoitises des autres États
européens. En 1578, l'Anglais Francis Drake franchit le détroit de Magellan,
avec le Golden Hind, la « Toison d'or ». En juin 1579, il relâche sur
la côte de Californie au nord de San Francisco après avoir capturé le galion
de Manille. Puis il repart vers l'ouest et rentre en Angleterre. Il complète
ainsi le deuxième tour du monde, de 1577 à 1580.
En 1616, des marins hollandais contournent le continent américain plus
au sud que le détroit de Magellan. Ils donnent aux terres ainsi franchies le
nom de leur village, le cap Horn. Les Hollandais veulent aussi leur part des
richesses. Après une bataille sanglante en 1623, ils écartent les Anglais
des îles du Sud-Est asiatique. Ils font le commerce des épices avec la Chine
et le Japon, et depuis Batavia, parcourent le sud-ouest du Pacifique. En
1647, Abel Tasman arrive près de l'Australie, la « Nouvelle-Hollande », dont
il n'aperçoit que du désert et des broussailles. Il laisse cependant son nom
à l'île de Tasmanie.
La même année, au nord, les Russes, après avoir traversé la Sibérie,
fondent le port d'Okhotsk. Attirés par le commerce des fourrures, ils
explorent le Kamtchatka vers les Kouriles. Il revient à Vitus Behring, un
Danois au service de Pierre le Grand et de ses successeurs, d'explorer le
Pacifique nord au siècle suivant.
Les Français participent tardivement à cette ruée vers le Pacifique.
Entre 1698 et 1728, au moins cent soixante-huit navires français trafiquent
avec les ports du Chili et du Pérou. Nicolas de Frondat est le premier
Français à traverser l'océan en 1708, sur le Saint-Antoine de Padoue.
Au retour, il suit une route plus septentrionale que le trajet habituel du
galion de Manille. Le 27 août 1711, il est de retour à Brest. L'expédition a
été profitable et d'autres navires partent sur ses traces.
La connaissance scientifique du Pacifique
Les Espagnols gardaient leurs cartes secrètes pour ne pas faciliter
les déplacements de leurs rivaux. Le XVIIIe siècle fixe la cartographie du
Pacifique. C'est le temps des expéditions scientifiques, financées par les
États, qui testent les matériels et les techniques, apportent le prestige
aux marines concernées et rendent les océans plus sûrs pour le commerce. Les
mythes, les légendes sont questionnés. On cherche en vain la terre australe,
le vaste continent qui croyait-on équilibrait la masse des terres émergées
de l'hémisphère Nord, de même que le passage du nord-ouest, qui devait
offrir un trajet plus court entre l'Atlantique et le Pacifique.
Les sociétés savantes définissent des programmes de recherche, comme
la mesure de la distance de la Terre au Soleil par l'observation du transit
de Vénus devant le Soleil. Cette observation est réalisée en 1769, à Tahiti,
par Green, l'astronome embarqué par Cook et en Basse-Californie par l'abbé
Chappe d'Auteroche. Un progrès décisif est fait avec le calcul exact de la
longitude. Pour cela, il fallait pouvoir transporter le temps du méridien
d'origine pour le comparer avec l'heure vraie locale. En 1714, le Parlement
anglais offre une prime pour récompenser l'invention d'un chronomètre
capable de conserver l'heure. Une série d'améliorations lentes et
progressives des horloges par des artisans français et anglais débouche sur
le chronomètre de Harrison (1735), dont Cook démontre la fiabilité. Sur les
cartes maritimes, les positions des îles et archipels sont enfin déterminées
précisément. En 1779, la boussole est perfectionnée. Les lois de
l'hydrographie, mieux maîtrisées, permettent d'améliorer la tenue des
navires à la mer et leur vitesse. Le scorbut, favorisé par un manque de
vitamine C dans l'alimentation, faisait des ravages dans les équipages. La
recherche médicale progresse. Sur les navires de Cook, on emploie de la
choucroute et de la levure de bière. Les relâches dans les îles sont
l'occasion de refaire des vivres frais.
Après la fin de la guerre de Sept Ans en 1763, le gouvernement
français finance des expéditions de découvertes. Louis Antoine de
Bougainville quitte Nantes le 15 novembre 1766 à la tête de La
Boudeuse et de L'Étoile avec un état-major qui comprend
des savants : un médecin naturaliste, un astronome, un ingénieur
cartographe. Le 26 janvier 1768, il entre dans le Pacifique par le détroit
de Magellan à la recherche de la légendaire terre de Davis, traverse les
Tuamotou et arrive le 2 avril en vue de Tahiti. Il y passe deux jours
d'escale dont le récit enthousiaste contribue à forger le mythe de cette île
décrite comme la Nouvelle-Cythère, même si un jeune Tahitien, Aotourou, qui
a voulu embarquer, lui fournit des informations qui le désillusionnent sur
les mœurs et les institutions tahitiennes. L'expédition passe aux Samoa, aux
Nouvelles-Hébrides, à la pointe sud de la Nouvelle-Guinée, aux Moluques le
2 septembre. Puis, par Batavia, l'île Maurice, le Cap, elle atteint
Saint-Malo le 17 mars 1769, rapportant une meilleure connaissance de
l'hydrographie du Pacifique et les premiers éléments d'ethnographie.
En 1770, Marc Joseph Marion-Dufresne raccompagne Aotourou dans le
Pacifique Sud, mais celui-ci meurt en octobre 1771, peu après le départ de
l'île Maurice. Marion-Dufresne et ses compagnons arrivent à la
Nouvelle-Zélande, où les relations sont d'abord cordiales, mais les Français
commettent le sacrilège de couper des arbres tabous pour faire des pirogues.
Leur chef est tué et dévoré.
En trois expéditions, l'anglais James Cook parcourt et cartographie le
Pacifique : en 1768-1771, Tahiti, la Nouvelle-Zélande, l'Australie ; en
1772-1775, le sud jusqu'à la banquise, l'île de Pâques, les îles Marquises,
la Nouvelle-Calédonie ; en 1776-1779, il recherche le passage du nord-ouest,
explore le détroit de Béring. Il meurt en 1779 à Hawaï, tué aussi à la suite
d'un malentendu d'ordre religieux.
Louis XVI, passionné de géographie et jaloux de la gloire que les
explorations de Cook avaient apportée à l'Angleterre, envoie Jean François
Galaup de Lapérouse dans le Pacifique. Il surveille lui-même la rédaction
des instructions. Deux navires quittent Brest le 1er août 1785, avec
plusieurs savants à bord. Ils passent le détroit de Lemaire, font escale au
Chili, à l'île de Pâques, à Hawaï puis se dirigent vers l'Alaska et
redescendent le long de la côte jusqu'en Californie où ils font escale à
Monterey. Puis ils traversent le Pacifique vers Macao, Manille, explorent
les mers de Chine et du Japon, franchissent le détroit qui porte le nom de
La Pérouse au nord du Japon, arrivent à Petropavlovsk au Kamtchatka. De
Lesseps ydébarque pour rapporter en France une copie des journaux par la
Sibérie et la Russie. Aux îles Samoa, le 21 novembre 1787, les Français sont
attaqués par des indigènes, puis ils partent vers les îles Fidji, et voguent
vers l'Australie pour se procurer du ravitaillement. Le 7 février 1788, à
Botany Bay, ils laissent une dernière lettre. Les navires font naufrage peu
après sur les récifs de l'île de Vanikoro, dans l'archipel de Santa Cruz
(Nouvelles-Hébrides). En 1791, Antoine d'Entrecasteaux part à leur
recherche, sans succès. Ce n'est qu'en 1828 que Dumont d'Urville retrouve
les restes de l'expédition. En 1837-1840, il explore le continent
antarctique et nomme la terre Adélie. Le Pacifique n'a plus de secrets.
|