Le commerce, tel qu'il y était pratiqué
dans l'Antiquité, continue de façon ininterrompue. Venise garde le contact
avec l'Orient. Les épices et la soie de l'Inde, les tapis et l'encens du
Levant y sont régulièrement acheminés. La conservation des produits
alimentaires n'est pas sans poser quelques difficultés. Les épices, qui
doivent rendre les aliments comestibles surtout en hiver, deviennent un
objet de commerce fort convoitées
Venise est le point de passage des
produits venus d'Orient. D’ailleurs Venise continue à faire partie de
l'Empire romain d'Orient.
VENISE
développa aux Xe etXI e siècles une intense activité maritime en Adriatique
et en Méditerranée orientale assurant enfin, au XIIIe siècle, sa suprématie
commerciale et militaire sur l'ensemble du monde méditerranéen. Les convois
armés des marchands vénitiens sillonnaient cet espace et la cité-État
disposait outre-mer d'un vaste empire colonial, en Crimée, sur la côte
dalmate, à Chypre et en Crète.
Or, si nous
connaissons bien l'histoire navale de Venise, la société maritime qui
contribua à la gloire de la Sérénissime au Moyen Age nous est moins
familière. Pourtant, il n'est pas excessif de dire que, dans cette cité-État
atypique, tous les hommes étaient marins. Les nobles de haute extraction
eux-mêmes entrepreneurs, à la fois marchands et armateurs, parfois
banquiers, passaient une bonne partie de leur vie à bord de leurs navires,
au contact permanent des matelots oeuvrant dans les cales et sur les
pontons.
La réussite
maritime de Venise reposait précisément sur l'intérêt commun qui unissait
étroitement ces hommes de condition différente. C'est ce qui explique la
considération dont jouissaient les gens de mer dans la société vénitienne à
l'époque médiévale.
Qui étaient
ces travailleurs de la mer et comment étaient-ils recrutés ? Quelles étaient
leurs conditions de vie et de travail au large ? Quelle était leur existence
une fois débarqués à terre ? Autant de questions auxquelles on ne peut
répondre sans prendre en compte le rôle de l'État vénitien qui considéra le
recrutement de ces matelots comme l'une de ses principales priorités. Alors
qu'en Angleterre ou en France, par exemple, le système était coercitif (la «
presse » consistait à enrôler de force les hommes errant dans les ports), à
Venise, au contraire, les marins s'engageaient librement, attirés par le
dynamisme de la construction navale.
PLUS DE LA
MOITIÉ DES HOMMES EMPLOYÉS DANS LA MARINE
Un très
complet catalogue des bateaux utilisés par les marins de Venise, établi au
mois d'août 1499 par les conseillers aux affaires maritimes de la ville,
nous permet d'évaluer la flotte vénitienne. Les petits tonnages, inférieurs
à 100 tonnes de port en lourd (charge en cale), constituaient l'immense
majorité de la marine marchande, les gros tonnages de 700 ou 1 000 tonnes
demeurant l'exception. Rappelons que l'on distingue traditionnellement deux
types de bâtiments : les nefs*, utilisées pour le transport des marchandises
pondéreuses, et les galères*, réservées au transport des produits les plus
précieux et armées pour la guerre et le commerce précisons que l'escadre de
guerre était composée de galères légères chargées de maintenir la police des
mers et d'intervenir dans l'empire vénitien.
Cet arsenal exigeait un personnel maritime considérable, comme l'atteste le
doges Tommaso Mocenigo décrivant en 1423 la flotte « de 3 000 petits navires
ayant 17000 marins, les 3 000 nefs avec 8 000 marins et les 45 galères tant
légères que grosses avec 11000 marins.. Venise avait en effet adopté des
statuts maritimes attractifs et favorables à l'embauche. stipulant notamment
que le nombre d'hommes à bord devait être proportionnel à la capacité de
chargement de l'embarcation: les patrons, depuis 1375, avaient l'obligation
d'engager sur les nefs à un ou deux mâts un marin pour 200 botte de port en
lourd (120 tonnes environ), mais il fallait au moins 24 marins pour un
navire commun de 500 botte (300 tonnes). En outre, l'augmentation du tonnage
des navires construits dans les chantiers navals suscita une demande accrue
de main-d'oeuvre. A la fin du XIVe siècle, par exemple, la galère marchande
passa de 130 tonnes à 170 tonnes de port en lourd, et au début du XVe siècle
la grande galère marchande atteignit une capacité de chargement de 250
tonnes.
Ces *galeotti*
devinrent vite indispensables et pendant plus d'un siècle toute la région
constitua un réservoir d'ouvriers qui retrouvaient à Venise des travailleurs
venus de la côte orientale de l'Adriatique. depuis l'Istrie jusqu'à
l'Albanie et la Grèce.
DES
GALÈRES CHARGÉES D'OR, D'ÉPICES ET DE SOIE
Pour ces marins
originaires du monde slave, travailler à bord d'un navire arborant le
pavillon de Saint-Marc était un honneur et un objectif recherchés : des
salaires élevés et une réglementation avantageuse attiraient à Venise tous
les gens de mer. La profession n'était pourtant pas à l'abri des aléas de la
conjoncture : quand une crise ou une guerre durable poussaient les autorités
à suspendre les départs pour raison de sécurité, le chômage touchait
massivement les marins. L'Arsenal* jouait alors un rôle décisif car il
pouvait fournir du travail à tous ces marins-artisans.
Le personnel de bord
était en grande partie composé des artisans du port, qui abandonnaient
volontiers leurs outils de chantier pour hisser la grand-voile. Outre qu'il
s'agissait d'hommes libres et salariés, leur homogénéité professionnelle
créait entre eux une exceptionnelle solidarité de
Un empire en
Méditerranée
Quant aux officiers,
leur recrutement faisait l'objet d'un soin particulier. C'était notamment le
cas pour les écrivains de bord*. En raison de l'importance de leur fonction
(tenir les livres, effectuer l'enregistrement des cargaisons...), leur
enrôlement était scrupuleusement réglementé par les autorités.
Après 1440, ils durent
prêter serment de respecter les lois en vigueur et de ne pas entretenir de
relations d'affaires avec les patrons: une telle collusion aurait pu nuire à
la défense de l'intérêt général des marchands embarqués à bord des galères.
Quelques années plus tard, seuls les citoyens vénitiens furent habilités à
présenter leur candidature à cette fonction et à partir de 1447 ils durent
verser une caution de 1000 ducats, non remboursée en cas de faute
professionnelle, avant le départ. Ils étaient élus par les membres du
Collège après un examen rigoureux des dossiers. Cet emploi représentait en
effet le sommet de la carrière d'un marin et le salaire était substantiel :
après 1490, un écrivain de bord touchait 30 ducats pour un voyage à bord des
galères d'Alexandrie, 40 ducats pour celles de Berbérie (Afrique du Nord) et
60 ducats pour celles des Flandres.
Les compétences
requises pour devenir marin nécessitaient une grande technicité, j la
présence de hauts-fonds rendant la lagune particulièrement dangereuse
d'accès. De plus, le trafic était intense entre Chioggia, (à l'ouest du
delta du Pô) et les côtes de l'Istrie. Tous les navires devaient être
dirigés par un pilote expérimenté sur le parcours situé entre l'Istrie et la
lagune, tant la zone était dangereuse et le trajet aventureux. Le convoyage
d'une muda* de 6 galères du Levant chargées d'épices, d'or et de soie dans
un golfe tempétueux se révélait en effet un exercice délicat. Tout autant,
celui d'organiser les mouvements des navires dans les
A partir du XIIe
siècle, Venise étend ses possessions (la Crête, Chypre...) et comptoirs en
Méditerranée orientale jusqu'à atteindre da Syrie et tes bords de da mer
Noire. Au XIVe les lignes de navigation sont prolongées vers l’Atlantique,
en direction de l'Angleterre et des Flandres. Jusqu'à da fin du XVe siècle
da Sérénissime est, grâce d ses nefs et galères, la maîtresse de la
Méditerranée.
60 DUCATS POUR UN
VOYAGE D'UNE ANNÉE
Les pilotes, d'abord
soumis à un sévère examen de passage, étaient ensuite organisés en
corporation et la qualification professionnelle qu'ils acquéraient après une
dizaine d'années d'apprentissage faisait d'eux des techniciens
irremplaçables. Deux amiraux du port étaient en outre chargés de réguler,
grâce à un dispositif de fanions et de lanternes, la circulation de cette
noria de vaisseaux dans les chenaux navigables et les passes
La République avait,
pour garantir la bonne marche de sa flotte, édicté des statuts maritimes
très stricts dont les premiers remontent à 1228 : 55 chapitres comprenant
des dispositions relatives à l'enrôlement des marins, mais aussi à la vie à
bord, réaménagés en 1329 et en 1346.
Cette législation était
très étendue, définissant notamment avec précision certains termes du
contrat de travail passé entre le patron et les marins au moment de
l'embauche pour ce qui concernait, en particulier, les conditions de
rémunération. La paye était fixée < au voyage » ou « au mois », et des
indemnités prévues en cas d'hivernage prolongé ou de dommages causés par des
attaques. Ces conditions étaient en outre reportées sur le rôle d'équipage
tenu par le patron du navire. Chaque marin avait droit à un salaire minimum,
variant selon sa qualification et sa compétence pour un voyage d'une année
effectué à bord d'une galère marchande, les nobles de poupe* percevaient 210
ducats, les maîtres artisans environ 60 ducats, les compagnons* qualifiés 45
ducats, les rameurs 20 ducats.
Les droits des familles
de marins étaient par ailleurs pris en compte : les hommes ayant
l'obligation d'assurer la subsistance des leurs pendant leur absence
Il ne faudrait
cependant pas en conclure que les salaires étaient insuffisants:
l'institution du portage* apportait au contraire aux marins un complément
non négligeable. Ce terme désignait le volume de pacotille exonérée de taxes
que les marins avaient le droit d'embarquer sur le navire, à charge pour eux
d'en assurer la vente au cours du voyage dont tout le bénéfice leur
reviendrait- en somme, un véritable salaire en nature.
UN COFFRE REMPLI DE
PACOTILLE
Là encore, selon une
stricte réglementation édictée par les autorités, le portage était enfermé
dans un coffre aux dimensions fixées par la loi, loué par le marin aux
officiers de l'Arsenal et restitué au retour
Les chantiers navals
vénitiens employaient une abondante main-d oeuvre qualifiée , devaient à ce
titre verser à leur femme un tiers de la somme qu'ils percevaient au départ.
En outre, le versement de la première paye était accordé en cas d'annulation
du voyage. En cas de naufrage, le salaire perçu était acquis, tandis qu'en
cas de décès, les héritiers du défunt touchaient le salaire qui lui était
dû. Quant au versement, il était effectué en trois fois : la pre
RECHERCHE
810 : début de la
construction de Venise.
933 : les Vénitiens
obtiennent de Byzance des privilèges commerciaux.
992-1009 : protectorat
vénitien sur la côte et les ?les dalmates.
1083: Venise obtient
la franchise du commerce dans tout l'Empire byzantin.
1096-1099 : première
croisade ; les Vénitiens prennent pied en Terre sainte.
1104 : construction de
l'Arsenal.
1204 : quatrième
croisade. Les Vénitiens assoient leur domination en Eubée (île de Nègrepont)
et dans la mer Égée (Crète).
1255 : nouveaux
statuts concernant la réglementation de l'activité maritime.
1384 : création de
l'escadre chargée de protéger les convois en Adriatique.
1320 : agrandissement
de l'Arsenal (arsenal nuovo).
1361 : ouverture du
Bureau des affaires maritimes (officium navigantibus) visant à
rénover la flotte.
1378-1381 :guerre de
Chioggia entre Venise et Gênes.
1454 : paix de Lodi;
Venise atteint sa plus grande expansion territoriale en Terre Ferme.
1473 : extension de
l'Arsenal (arsenal nuovissimo).
1489 : Catherine
Cornaro cède Chypre à Venise.
1570 : les Ottomans
débarquent à Chypre et assiègent Famagouste.
1571 : les Vénitiens
défont les Ottomans à Lépante.
. Comme les salaires
en numéraires, cette rétribution en nature était fortement hiérarchisée :
l'écrivain de bord avait droit d'embarquer près de 1200 kilos (l'équivalent
de 4 000 livres) de pacotille, tandis que le rameur ne pouvait prétendre
qu'à 45 kilos (soit 150 livres).
Au cours des siècles,
les contrats de travail évoluèrent sans qu'on porte atteinte au portage,
très attractif pour les gens de mer qui entraient au service de Venise. Le
coffre où il était renfermé finit par devenir un symbole et un facteur de
cohésion unissant tout un équipage : en cas d'attaque du navire, le marin
défendait son bien autant que celui de l'entrepreneur. Les patrons
l'utilisaient d'ailleurs comme un moyen de régulation sociale, pour
compenser de faibles salaires par exemple. Ils y virent aussi une façon de
lutter contre les vols commis à bord ou les tentatives de désertion
Outre le
portage, les contrats d'embauche précisaient en détail la ration alimentaire
du marin, elle aussi soumise à une stricte réglementation. Ainsi, en 1320,
un décret de la République stipula qu'elle devait être composée de 700
grammes de biscuit, 40 grammes de fromage et un demi-litre de vin pur par
jour. L'approvisionnement constituait en effet une préoccupation majeure
dans les voyages au long cours, représentant parfois douze à seize mois de
service à bord. La qualité de l'alimentation variait cependant selon la
hiérarchie sociale au sein de la société navigante : la meilleure chère
était évidemment servie à la table du patron et des officiers ; à celle des
maîtres d'équipage, comme à celle de la chiourme* elle était en revanche
plus fruste. Les vivres devaient également satisfaire aux impératifs de la
navigation : être énergétiques, peu volumineux et se conserver longtemps.
DU PAIN FRAIS
ET DU VIN TOUS LES JOURS
Trois denrées
essentielles répondaient à cette triple exigence : les biscuits, le vin et
l'huile, distribués depuis 1335 dans les entrepôts faisant face au port. A
bord, le cuisinier préparait deux plats: de la viande trois jours par
semaine et de la minestra, soupe de légumes au lard, les autres jours. Le
soir était servi le companaggio, galette frite à l'huile à base de fromage,
d'oignons et de poissons séchés. Une ration de vin était distribuée six fois
par jour. Si le vendredi et le samedi étaient maigres (un bouillon de fèves
et de haricots constituait le plat principal), le dimanche, une soupe au
porc salé réconfortait les marins. Chacun pouvait améliorer son ordinaire en
achetant de la nourriture et des boissons.
L'apport
calorique indispensable était assuré par une consommation abondante de vin
qui suscitait donc un important trafic : les marins stockaient des tonnelets
sous leur banc de nage et les officiers qualité à des prix prohibitifs.
Pendant longtemps, les marins furent également autorisés à embarquer avec
eux du vin, du fromage et de la viande salée. Mais ce droit fut supprimé en
1414, en raison des pratiques frauduleuses qu'il entraînait à bord. A partir
de cette date, la responsabilité de l'alimentation sur le vaisseau n'incomba
plus qu'au patron - une charge considérable quand on sait que
l'approvisionnement représentait 28 % du budget total d'exploitation d'une
galère marchande.
En dépit de
sa monotonie, l'alimentation ne faisait que rarement l'objet des
récriminations des marins, sauf quand le patron ne prévoyait pas assez de
vivres au départ et comptait sur la première escale pour réapprovisionner le
navire ; or celleci pouvait tarder à venir, en cas d'avarie, d'attaque ou de
mauvais temps. A la fin du XVe siècle, pour éviter le mécontentement de
rameurs affamés, il fut décidé que la quantité et la qualité des repas
consommés à bord par les membres de l'équipage seraient contrôlées par trois
marchands choisis parmi les nobles participant à (expédition. Désormais, le
pain frais et le vin furent distribués tous les jours et, avant d'effectuer
de longues traversées hauturières entre Alexandrie et la Crète par exemple,
les patrons devaient charger des rations alimentaires composées de biscuits,
légumes secs, vin et eau pour une période de vingt jours.
L'accord
contracté à l'embauche entre le patron de galère et les marins, toujours
dans le respect des règlements inscrits dans les statuts maritimes, abordait
tous les autres aspects du quotidien: l'impossibilité de quitter le navire
sans autorisation, l'obligation de prendre soin du bâtiment, de servir pour
toutes les manoeuvres et les opérations de transbordement des marchandises,
de monter la garde et de respecter les ordres de la maistrance*, etc.
En dépit des
disparités de traitement entre les différents échelons du personnel de bord,
rares étaient les cap de mutinerie. Le respect mutuel entre les officiers et
les marins était une réalité e (équipage était uni par un solide esprit
patriotique. On peut l'expliquer par l'absence de distinction existant à
Venise entre la flotte de guerre et la flotte marchande les galères de
commerce étaient armée pour la guerre et les marins devaient battre pour
défendre le pavillon de Saint Marc. Le gouvernement se réserva d'ailleurs le
droit de réquisitionner d• navires de commerce pour assurer la police des
mers ou lutter contre les pirates.
L'HISTOIRE N°
238 DÉCEMBRE 1999
Livre Bibliothèque Municipale Arcachon Titre le XVI e Siècle /
BARTHOLOME BERNASSAR Professeur d'histoire Economique à l'université
de Toulouse et JEAN JACQUART Maître de Conférence a l'Université
de Picardie / Armand Collin / Edition 1973
Livre HISTOIRE
DU MOYEN AGE ET DE LA RENAISSANCE EDITIONS NATHAN BIBLIOTHEQUE MUNICIPALE DE
ARCACHON